L’explication de la méditation-récitation de Chenrezik

L’explication de la méditation-récitation de Chenrezik
selon le commentaire du XVe Karmapa, Khakhyap Dorjé

Table des matières

  • Présentation
  • Introduction à l’enseignement
  • Explication détaillée du commentaire
  • 1. Se placer sous la protection et générer l’esprit d’éveil
  • 2. La méditation de la présence éveillée
    • Remarques préliminaires
    • Retour au commentaire
  • 3. La récitation du mantra
    • 3.1. Requérir l’attention éveillée par la prière
    • 3.2. Pratique [consistant à] demeurer avec la présence éveillée au niveau du corps, de la parole et de l’esprit en s’appuyant sur l’émission et la résorption
    • À propos de la récitation du mantra
    • Fonctionnement de la phase de récitation du mantra
    • Retour au commentaire
  • 4. La phase consécutive : assimilation de la pratique au chemin
  • 5. Le reversement des empreintes bénéfiques pour l’éveil et la formulation des prières d’aspiration
  • 6. L’explication des bienfaits

Présentation

Vous trouverez dans ce livret les explications orales transmises par lama Jigmé Rinpoché sur le commentaire de la pratique de Chenrezik écrit par le XVe Karmapa, Khakhyap Dorjé. Ces explications ont été données au cours de trois stages publiques successifs à Dhagpo Kagyu Ling, en décembre 2017, avril 2018 et mai 2018. Il s’agit donc de la transcription mise en forme de ces enseignements.

La collection relative aux explications de la pratique de Chenrezik selon la tradition de Tangtong Gyalpo comporte trois livrets :

  • La traduction du commentaire du XVe Karmapa intitulé Une continuelle ondée de bien pour les êtres, accompagnée du texte en tibétain (déjà parue).
  • Les clarifications orales de lama Jigmé Rinpoché du commentaire du XVe Karmapa précité (le présent livret).
  • Les questions des pratiquants et les réponses de lama Jigmé Rinpoché au sujet de cette pratique (à paraître).

Ces livrets constituent des supports d’étude pour la pratique de la méditation et récitation de Chenrezik. Néanmoins, l’enseignant s’adresse à un auditoire, répondant ainsi au besoin de cet auditoire, à un instant précis. Comme c’est le cas pour tout enseignement, le présent enseignement s’inscrit dans un contexte. Ces livrets ne sauraient donc être utilisés indépendamment des instructions de pratique qu’il est nécessaire de recevoir d’un enseignant habilité.

Le secteur édition de Dhagpo
Le 1er juillet 2020
  

Introduction à l’enseignement

Ce document présente l’explication de la pratique de Chenrezik sur la base du commentaire rédigé par le XVe karmapa, Khakhyap Dorjé (1871-1922). Le texte original de cette pratique a été écrit par Tangtong Gyalpo (XIVe siècle, dates incertaines) qui était considéré comme une émanation de Chenrezik.

J’adopterai tout d’abord une approche simple donnant une image globale de la pratique qui permettra surtout de savoir comment la mettre en œuvre, puis j’aborderai davantage les détails. Je vais donc m’attacher à expliquer le sens général, parce qu’une compréhension du sens permet d’obtenir un meilleur résultat.

Symbole ordinaire ou symbole non ordinaire

Chenrezik est la manifestation d’un yidam sous la forme d’un sambhogakaya. La pratique nous permet de nous connecter à cette forme symbolique, c’est-à-dire de nous relier à la manifestation des bouddhas. Il ne s’agit donc pas d’un symbole ordinaire, parce qu’il nous permet dans ce cadre d’obtenir un résultat : actualiser la même qualité que le symbole en question, Chenrezik.

La terminologie employée en français prête parfois à confusion, parce qu’un mot peut avoir plusieurs sens. Le terme symbole peut être compris de façon ordinaire. Le drapeau français constitue un symbole ordinaire : il comporte trois couleurs qui symbolisent chacune un concept représentant une valeur de la France à laquelle il est possible de s’identifier. Les panneaux de signalisation routière sont une autre sorte de symbole. Le panneau de limitation de vitesse à 90 km/h fait que nous régulons notre vitesse et que nous respectons cette indication.
Dans le contexte de la pratique méditative, un symbole est un élément qui nous introduit à une dimension. Dans ce cadre, le symbole est comme une graine qui se développera par elle-même : il s’agit de progresser grâce à notre mise en œuvre de la pratique. Cette autre façon de comprendre ce terme n’est pas toujours évidente immédiatement ; le sens s’éclaircira au fur et à mesure.

Divinité ou présence éveillée

Il y a une vingtaine d’années, Monseigneur Robert Le Gall1 est venu à Dhagpo. À cette occasion, il a participé avec nous à un festin d’offrandes de Milarepa. Au cours d’une discussion au sujet des représentations qui se trouvaient sur les tankas, comme Chenrezik ou Dorjé Pamo, il m’a demandé quelle était la fonction de ces symboles. Je lui ai donc expliqué qu’il s’agissait de divinités – c’est le terme que le traducteur avait choisi – et qu’elles étaient des représentations ou symboles de notre propre qualité originelle de sagesse ou notre qualité originelle de bouddha, c’est-à-dire des moyens ou symboles utilisés afin de pouvoir développer à notre tour cette même qualité.

Monseigneur Le Gall a écouté cette explication, y a réfléchi un instant, puis il a dit que le terme divinité n’était pas le bon, parce que ce terme implique la présence d’un esprit, ou d’une personne qui soit révérée. Selon mes explications, il s’agissait davantage d’un fonctionnement similaire à celui de l’Esprit saint dans la religion chrétienne. Par le biais de l’Esprit saint, le pratiquant se relie à Dieu, il demeure inséparable de lui. Il m’a ainsi expliqué que tous les êtres humains sont traversés par une forme de courant divin et que c’est par le biais de l’Esprit saint qu’ils parviennent à s’unir à Dieu.
Le fonctionnement de l’Esprit saint est semblable à celui du yidam dans la pratique bouddhique. Une divinité implique effectivement la présence d’une forme d’entité spirituelle comme par exemple un messager. Ces « messagers » ne sont cependant pas des êtres saints. Ils se trouvent certes sur des niveaux plus élevés que les êtres humains ordinaires, mais ils ne sont pas en union avec Dieu.

Les termes peuvent ainsi induire en erreur. Par exemple, lorsque nous rencontrons des difficultés dans la vie, que nous soyons mécontents ou échouions dans nos entreprises, nous nous mettons à effectuer la pratique de Tara verte afin de remédier à cette situation. Cette pratique est alors effectuée comme si nous invoquions une divinité qui viendrait résoudre nos problèmes, or ce n’est pas du tout le propos de la pratique bouddhique. Pratiquer ainsi consiste à se mettre en lien avec un fantôme ! Un fantôme et une divinité, cela revient à la même chose (il est simplement plus poli d’employer le terme divinité). La pratique d’un yidam ne consiste pas à se relier à un fantôme qui apparaîtrait et viendrait résoudre nos problèmes. Elle permet de révéler notre potentiel afin que nous puissions actualiser les mêmes qualités que Tara verte ou Chenrezik, en l’occurrence.

En tibétain, le terme employé est yidam. Il est formé de deux syllabes : yi ཡིད signifie esprit, dam དམ peut se traduire par saint ou authentique. Il ne fait pas référence à un être humain ordinaire, mais à la manifestation d’un grand bodhisattva. Certains bodhisattvas peuvent apparaître comme des êtres humains, tandis que d’autres demeurent dans d’autres destinées ; c’est notamment le cas de Chenrezik, présent dans le champ pur de Dewachen.
L’activité de ces grands bodhisattvas est appelée trinlé tokmé ཕྲིན་ལས་རྟོག་མེད. Trinlé ཕྲིན་ལས signifie activité et tokmé རྟོག་མེད fait référence au fait que ces bodhisattvas n’ont pas besoin de concentrer leur esprit sur quelque chose pour agir. À notre niveau, pour recevoir l’aide d’une personne, nous devons nous tourner vers cette personne : nous parlons et communiquons avec quelqu’un. Dans le cadre d’une requête spirituelle, nous nous focalisons sur une divinité afin de recevoir son aide. Le fonctionnement de l’activité éveillée est différent : elle est sans intention. Il suffit de s’ouvrir à cette activité pour être mis en relation avec elle.

Chenrezik n’est pas une forme visible, envisager cela est donc compliqué à envisager, mais la même chose s’applique à un être vivant comme Karmapa, par exemple. J’ai pu prendre la mesure de cette activité éveillée en mettant à l’épreuve les qualités de Karmapa pour essayer d’en comprendre le fonctionnement. (Je mène toujours mes tests et mes petites analyses ; cela permet d’ôter tous les doutes !) Cette activité éveillée signifie donc qu’il reçoit les messages sans avoir besoin d’un coup de téléphone ou d’un courriel !
J’ai notamment pu vérifier cela lors de notre entrevue à Bodh Gaya : alors que je ne lui avais fait part d’aucune interrogation, il a répondu à cinq ou six points précis que j’avais en tête !
Dès que nous nous ouvrons à cette dimension, un lien est effectivement présent, comme par transparence, et le message est reçu. Nul besoin de téléphone, de lettre ou de moyen de communication. Il ne s’agit pas de télépathie, mais simplement de s’ouvrir à cette dimension et les informations sont transmises. C’est le fonctionnement de la pratique du gourou yoga. En répétant le mantra karmapa cheno ཀརྨ་པ་མཁྱེན་ནོ qui signifie « Karmapa, vous savez », nous nous ouvrons au Karmapa. C’est la théorie qui nous est enseignée, mais nous ne sommes jamais vraiment sûrs, à un niveau relatif, que le message est bien passé ! J’ai donc mené mon enquête pour voir si cela fonctionnait vraiment ainsi !
Dans la pratique de Chenrezik, le même procédé opère avec la récitation du mantra. Si nous nous ouvrons à cette dimension, le lien est présent. Quand un doute s’élève, le fonctionnement s’enraye. Entendre le récit de mes expériences peut vous sembler étrange, je choisis de les partager avec vous en pensant qu’elles peuvent vous être utiles, parce qu’être témoin de ce fonctionnement permet d’être davantage convaincu et renforce ainsi l’efficacité de la pratique.

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Notes :
(1) Archevêque de Toulouse qui a publié avec lama Jigmé Rinpoché le livre le Moine et le lama. Paris : Fayard, 2001.  [↑ retour]