Table de travail dans la salle de lecture

Table de travail dans la salle de lecture

40 ans de Dhagpo, c’est aussi la naissance d’une bibliothèque. Je ne vais pas vous conter dans cet article l’histoire de la bibliothèque qui est aujourd’hui ouverte à tous et abrite plusieurs milliers d’ouvrages ; je vous laisse cliquer ici si vous voulez la connaître.

Ce dont j’ai envie de vous parler, en revanche, c’est de l’importance d’un tel lieu au sein de notre communauté et de ce qu’il offre à l’humanité. Étant bibliothécaire bénévole à Dhagpo, une question m’est souvent posée : à quoi sert la bibliothèque ? Voici une tentative de réponse…

Lire pour bâtir sa liberté

Tout change lorsque nous lisons. Lire nous force à apprendre de nouveaux mots, à penser de nouvelles pensées, à ralentir tout simplement. Les mots sont aujourd’hui plus importants que jamais. À l’ère de la communication écrite, nous naviguons dans le monde avec les mots que nous inscrivons dans nos barres de recherche ou sur nos smartphones. L’alphabétisation est essentielle dans l’éducation de chaque enfant pour le devenir de l’humanité. Nous avons besoin de lire et d’écrire, nous avons besoin de former des êtres humains bien équilibrés, capables de comprendre ce qu’ils lisent, d’appréhender les nuances et de se faire comprendre à leur tour. Comme le dit Thayé Dorjé, Sa Sainteté le XVIIe Karmapa :

Karmapa, 1ère visite du fond documentaire, juillet 2015

Karmapa, 1ère visite du fond documentaire, juillet 2015

« L’alphabétisation est cruciale pour construire une compréhension de notre monde. Être à l’aise avec les mots — depuis la base de la lecture et de l’écriture jusqu’au développement d’une compréhension vaste des questions auxquelles nous cherchons à répondre — est important pour chacun d’entre nous. Sans alphabétisation, nous pouvons tomber dans de mauvaises compréhensions et des jugements, créant des petits problèmes comme des problèmes familiaux, ou des difficultés à plus grande échelle, celle des pays et des nations. »

 

Sans lecture, le monde s’appauvrit et l’éducation tout entière périclite. Un livre est un accès à l’éducation et à l’information. Chaque bibliothèque offre cet accès libre et cette information a une valeur. Dans le cadre bouddhique qui est le nôtre, la valeur dont il est question est une richesse intérieure : l’acquisition d’une connaissance qui mène au développement de la compassion et de la sagesse.

Transmettre et hériter : le livre comme mémoire de la lignée

Dans notre contexte occidental, rares sont les personnes nées bouddhistes. Nous le devenons, pas à pas, en apprivoisant la compréhension du message du Bouddha et en l’appliquant. Le Bouddha a vécu il y a plus de 2 500 ans ; comment son message et sa méthode nous sont-ils parvenus ? Grâce aux écrits : une consigne manuscrite minutieuse des enseignements par les premiers disciples de l’Éveillé. Ces textes ont ensuite été commentés, traduits, publiés — en d’autres termes : rendus accessibles et transmis.

Pour la plupart d’entre nous, le chemin a commencé par une lecture. La mise en œuvre de la voie est aussi soutenue par des textes. Comme le dit Christian Jacob :

« La connaissance ne se constitue qu’en entrant dans une dynamique de circulation, d’échange, de communication et de transmission. »

Le livre en est le vecteur. Dans le contexte bouddhique qui est le nôtre, la lignée karma kagyü du bouddhisme tibétain, le livre n’est pas un objet de vénération mais un instrument de compréhension et de rappel sur le chemin. Le pratiquant s’inscrit dans une tradition, applique et approfondit l’enseignement d’un maître afin de s’imprégner de cet héritage jusqu’à ce qu’il devienne sien. Transmettre et hériter sont interdépendants.
Le terme tibétain kagyü signifie « transmission de la parole ». En d’autres termes, c’est l’humain qui transmet ; le livre joue le rôle de support, de mémoire, condition sine qua non de la transmission. Lorsqu’en 2011 Karmapa reçoit, pendant deux mois, la transmission de l’ensemble de la collection du Damnakdzö à Kundreul Ling, les 13 volumes de textes compilés par Jamgön Kongtrül Lodrö Thayé sont envoyés depuis la bibliothèque de Dhagpo où ils sont préservés et consultables.

La bibliothèque Dhagpo Kagyu : un espace hors du temps

Comment connaître le Bouddha et le sentir presque contemporain et si proche sans lire Sur les traces de Siddhartha de Thich Nhat Hanh ? La bibliothèque offre la magie de ce dialogue avec des êtres d’un autre siècle. Les livres nous permettent d’apprendre des leçons de ceux qui pourtant ne sont plus. N’oublions-nous pas trop souvent qu’un livre, parfois, change le cours de toute une vie ?

Depuis son ouverture au public, en juin 2013, plus de 500 ouvrages ont été donnés à la bibliothèque Dhagpo Kagyu — généralités bouddhiques ou publications pointues de l’université de Harvard, en anglais, français ou russe. Il semble que la bibliothèque touche au plus profond de l’être la responsabilité de préserver un patrimoine et de mettre à disposition des savoirs.

Lors de mes permanences, j’ai parfois vu des villageois hésitants entrer sur la pointe des pieds, des enfants curieux, des chercheurs sérieux ou des écrivains travaillant à leur prochaine publication. Tous différents, tous identiques pourtant : des lecteurs. J’invite les uns à s’asseoir avec un magazine et à profiter du calme ; je remets dans les mains des autres plusieurs tomes du manga Bouddha ; je guide les tibétophiles dans le fonds documentaire tibétain ou cherche le matériau utile au travailleur de l’encre. Lectures de curiosité, de plaisir, d’apprentissage ou de travail, dans tous les cas, un instant suspendu dans l’univers, niché au plus intime de l’être.

Venez donc lire et envoyez vos enfants dans les bibliothèques, sinon, comme le dit Neil Gaiman :

« On réduit au silence les voix du passé et on endommage le futur. »

Bibliographie

  • JACOB Christian, « Le cercle et la lignée », in Lieux de savoirs, Espaces et communautés, Albin Michel, Paris, 2007.
  • TEZUKA Osamu, Bouddha, Tonkam, Paris, 1998.
  • THICH NHAT HANH, Sur les traces de Siddhartha, JC Lattès, Paris, 1996.